Le compositeur, son oreille et ses machines à écrire: Déconstruire les grammatologies du musical pour mieux les composer
Préfaces de Hugues Dufourt et de Jean-Claude Risset
Librairie Philosophique J. Vrin, collection «MusicologieS»
25,- €, ISBN 978-2-7116-2511-6, 288 S., 2014
On a souvent reproché à la ‘musique contemporaine’, terme assez générique, d’avoir favorisé la spéculation intellectuelle au détriment de l’expérience sensible. Il serait cependant hâtif de condamner les principes et les résultats d’un mouvement très diversifié et qui a produit des œuvres extraordinaires. D’une part, son esprit s’est inscrit dans l’élan structuraliste d’après-guerre, commun à de nombreuses disciplines, qui attribuait une valeur primordiale à la science et à l’intelligence des structures sur leur perception. D’autre part, cette attitude compositionnelle n’a été que la continuation d’une longue pratique occidentale de la musique fondée, depuis Pythagore, sur le logos, l’écriture et l’abstraction.
La fin des années 1960 a marqué, dans de nombreux domaines, une remise en cause générale des méthodes structurales et de certains principes intrinsèques à la modernité occidentale. C’est aussi à cette époque que s’étendent à tous les aspects de la pratique et de la réflexion musicales, notamment à l’interprétation et à l’écriture, certaines innovations issues des musiques extra-occidentales, des musiques concrètes et électroniques, et de la révolution cagienne. De nouvelles formes musicales émergent: free jazz, musiques minimalistes, musiques de processus, installations sonores, musiques mixtes, musiques spectrales, musiques bruitistes, improvisations libres, nouvelle simplicité, nouvelle complexité et autres musiques « postmodernes ».
Certes, ces stratégies musicales sont parfois fragiles : comment renouveler la pensée musicale sans recourir aux opérateurs traditionnels de la modernité, notamment les représentations classiques du musical? Comment récuser les affres de la modernité sans sombrer dans une attitude anti-élitiste prônant l’hyper-relativisme des valeurs et la fin des hiérarchies? Comment revenir à l’expérience sensible sans se fourvoyer dans des postures culturelles caricaturales ou se laisser prescrire ses goûts par son entourage? Comment refuser l’eurocentrisme sans s’égarer dans le « multiculti » ? Comment contester le logocentrisme sans devenir misologue?
Cet ouvrage est une tentative de déconstruction des opérateurs de la modernité des musiques occidentales afin de mieux cerner à la fois les enjeux des écritures (pris au sens large d’organisation, de composition) libérées de leur obsession du signe, et les enjeux d’une écoute aspirant à se renouveler dans une époque redevenue « normale » : quels sont les atouts et les limites de la spéculation analytique? Perçoit-on et doit-on percevoir les intentions du compositeur ? Quelle est la relation entre forme perçue et structure sur le papier? La complexité est-elle une condition de l’inouï, et de quelle complexité parle-t-on alors ? La musique doit-elle être consonante, pour quoi, et comment ?
Ce livre est destiné aux compositeurs, musiciens, et mélomanes intéressés par les problèmes d’écriture musicale et de composition, mais aussi à ceux souhaitant comprendre en quoi la musique pose, avec son propre vocabulaire, des questions analogues à celles dans les autres disciplines de l’esprit.